Mardi 2 septembre

Premier jour de Ramadan. Du lever au coucher du soleil, ne pas manger une miette, ne pas boire une goutte ; ni relations sexuelles, ni disputes. Dans la tradition, ce mois correspond à la Révélation du Coran à Mahomet. Le jeûne doit permettre au croyant une plus grande proximité avec Allah, et faire saisir aux repus ce que peut être le quotidien des miséreux.

 

J’ai dit à Ali que j’essaierais, moi aussi. Non pas que j’escompte me rapprocher de quelque éventuelle entité divine – qu’elle m’en préserve ! – mais plutôt en vertu du célèbre dicton : « When in Morocco, do as the Moroccans do. » Et si j’ai l’habitude de ne pas dormir, ne pas boire ou manger quand je le pourrais sera une expérience très neuve pour moi, déjeuneur professionnel.

 

Heureusement, Ali fait partie de ces êtres impurs qui dorment le plus longtemps possible pendant la journée, afin d’écourter le temps restant avant le coucher du soleil… Le film d’horreur s’étant terminé peu avant l’aube, nous nous levons en début d’après-midi – passons un moment à me chercher un moyen de quitter la ville, le lendemain – faisons quelques courses – et très bientôt me voilà sur les moelleux coussins recouvrant la salle à manger de la cousine d’Ali – lieu où nous allons « casser » le jeûne de cette première journée.

 

La télévision diffuse en direct la descente du soleil sur l’Atlantique, vu de la plage de Laâyoune ; au moment où il disparaît, retentit partout la vibrante prière des imams – y compris sur l’écran de télévision, avec sous-titres incorporés – et l’on entend pratiquement la ville entière passer à table, dans le gargouillis enfin satisfait des estomacs au supplice.

 

Dans chaque famille, ce sont de véritables banquets qui sont organisés – dans la limite de leurs moyens ; pour ma part, j’ai la chance de naviguer ici dans un milieu très visiblement aisé. A estimer la teneur calorifique totale réunie sur les deux tables basses, on jurerait que nous sommes douze convives – et non cinq…

 

Ouverture du feu avec la soupe harira, servie très chaude, salée, épicée ; si chaude qu’on est très vite complètement trempé de sueur. Puis d’autres soupes, gâteaux au miel, dattes, lait d’avocats sucré, viennoiseries, crêpes à l’eau de fleur d’oranger, jus de fruits, etc. Sur la fin du banquet, je reste sonné, dans un état d’hébétude si rassérénée que je ne peux guère mouvoir que mes zygomatiques, d’un air béat ; j’ai bien besoin de l’inévitable thé qui suit pour me remettre sur pied. La mode locale exige que le breuvage soit longuement versé de verre en verre, jusqu’à l’apparition d’une épaisse couche de mousse sucrée ; pas de menthe employée ici, contrairement à celui qu’on prépare dans le Nord.

 

D’après la cousine d’Ali, dame aux yeux ardents et au sourire splendide, je ressemblerais à l’acteur principal d’une série télévisée turque ayant fait fureur dans la région ; j’estime pour ma part que c’est tout simplement du fait de ma barbe – quoi de mieux qu’être barbu pour ressembler à un Turc ? – mais il n’en faut pas davantage pour me voir surnommé « Muhanned », du nom du personnage en question, jusqu’à la fin de mon séjour.

 

Au stade où nous en sommes, la promenade du soir est plus qu’une distraction – une obligation. Surprise de tomber sur un terrain de pétanque, et une équipe de vaillants boulistes. La digestion bien entamée, Moustapha nous rejoint pour une autre nuit dînatoire, à quelques heures de là, devant un autre film d’horreur américain.

yeu