Samedi 6 septembre

Lever à l’aube. Les chauffeurs du bus m’ont dit de venir acheter mon billet à six heures du matin. Arrivé sur place, dans la nuit grisonnante, je peux constater que le bureau est encore bien fermé, et tous ces cuistres encore endormis sur les bancs de bois, dans la rue… Je m’assois, et patiente.

 

Avec le jour s’éveillent dans la rue des nuées de mouches, qui animent bientôt le moindre centimètre-carré de matière. C’est un vrai choc, après des jours de salubrité sèche et saharienne.

 

Les passagers surgissent l’un après l’autre ; dans le marécage apparaissent aussi toutes sortes de chariots, de charrettes et d’ânes, la plupart charriant de gros bidons d’eau ; et j’aperçois pour la première fois cet emblème de l’Afrique sub-saharienne, la femme passant avec les charges les plus diverses posées en équilibre sur le sommet de la tête.

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Discussion avec deux jeunes travaillant là. L’un se montre amical, mais ne tarde pas à me demander si je ne pourrais pas « l’aider » à sortir d’ici, une fois rentré en France ; il se fait plus distant quand je lui dis que je ne ferai rien.

L’autre me demande à brûle-pourpoint si je connais les sites Internet et autres outils informatiques permettant de pirater cartes de crédit et comptes en banque ; pour une raison obscure, il est persuadé que tout Occidental fait ce genre de choses aussi aisément qu’il respire. De nouveau, je dois décevoir mon interlocuteur.

 

Enfin, après que mon sac a été placé dans la soute, à une hauteur « qui lui évitera d’être submergé lorsque le bus traversera la rivière » selon l’un des jeunes, quelqu’un se place devant la porte dudit bus et commence l’appel des passagers enregistrés. Un véhicule somme toute confortable et moderne, aux sièges moelleux. Au moment d’y grimper, je me renseigne de nouveau sur la durée de navigation estimée – conscient cependant de la certaine futilité d’une telle question. On me parle de 48 heures… Me durcissant la peau du crâne, je me prépare au pire.

 

Je n’ai avec moi qu’un peu d’eau, du pain et des biscuits, n’ayant échangé qu’un montant financier strictement suffisant pour me payer ma nuit à l’auberge et le ticket de bus – ne me reste plus rien pour assouvir d’éventuels besoins nutritifs. Qui vivra verra.

 

 

Passe le jour, commence la nuit, s’égrennent les heures. A l’arrivée, je réaliserai à quel point le temps m’est désormais devenu invisible en voyage. Si on me laisse à ma rêverie devant une fenêtre au paysage mouvant, dans une position acceptable et sans nuisance musicale intolérable, je reste ainsi très longtemps sans peine.

 

Je me souviens aujourd’hui de l’immense Mauritanie comme d’un film en accéléré. Le désert est devenu vallons verdoyants, collines et gorges et plateaux – des arbres inconnus se sont glissés entre les palmiers. Chèvres et moutons ont succédé aux chameaux, le boubou à la djellaba et au draâ maure.

 

Tard dans la nuit, passage de la frontière avec le Mali. Un officiel quelconque tâchant d’obtenir de notre convoi un pot-de-vin excédant le montant légitime, nous nous arrêtons un moment, le temps que l’officiel en question comprenne l’étendue de son erreur. Dehors, les parfums capiteux qui imprègnent l’obscurité trahissent la forêt proche, parfums riches et sucrés comme je n’en ai humé depuis Hong-Kong ; en fond sonore, les stridulations étourdissantes de nombreux grillons. Un vieil homme me montre une petite constellation d’étoiles, en forme de flèche (la Lyre ?) ; il m’explique qu’elle pointe toujours vers le Nord – toujours vers mon point de départ.