Dimanche 7 septembre

Le Mali.

 

La première chose dont je me rends compte, c’est que j’ai passé la frontière sans avoir le nécessaire visa : personne n’a même pris la peine de tamponner mon passeport. Et ça n’a sans doute pas la plus traître importance.

 

Nous nous arrêtons fréquemment dans de minuscules hameaux au bord de la route, où des femmes et des enfants se précipitent aussitôt vers les portes pour vendre fruits, gâteaux, eau en sachets plastique, boissons douteuses et colorées de fabrication maison, etc. Au cours d’une semblable pause, je vois surgir tout à coup dans l’allée du bus une femme portant une large bassine et une machette imposante. Sur un geste interrogatif de ma part, la bonne dame tire de la bassine ce qui ressemble à des morceaux d’écorce dont la surface intérieure serait attachée à une chair blanche et ligneuse, comme celle de la noix de coco ; mais quelques coups de machette plus tard, la chair se trouve détachée de l’écorce et m’est présentée en petits dés encore chauds : il s’agit d’une sorte de tubercule cuit dont la consistance rappelle celle d’une patate très farineuse (igname ?). Les mystères de l’Afrique.

 

Nous atteignons Bamako dans l’après-midi, soit moins de trente heures après notre départ. Le CouchSurfer que j’ai contacté m’a dit qu’il allait « envoyer quelqu’un » me chercher. Ce quelqu’un se matérialise à la station de bus sous les traits de Bouba, un jeune Touareg filandreux au guidon d’une motocyclette, engin omniprésent à Bamako. A pleine pétarade, il nous emporte mes sacs et moi à travers l’infernale circulation de la ville ; à côté, la Place de l’Etoile à l’heure de pointe est un endroit où tout est ordre et beauté, luxe calme et… bref. Malgré la dangereuse énormité de mon sac et la vitesse à laquelle Bouba nous déplace, nous atteignons cependant notre destination sans tragédie particulière.

 

Nous voilà chez Maïka. Elle est belge, et vient d’emménager ici pour un long moment, le temps de son contrat avec une ONG de développement local. Elle loue un appartement plutôt confortable, où elle m’offre de rester jusqu’à mon départ, aussi longtemps que je le souhaite.

 

Le soir, nous sortons tous les trois, direction un restaurant-pâtisserie purement occidental, avec pour unique touche locale quelques plats de capitaine au menu. La chère est bonne, mais les prix ne sont évidemment pas ceux auxquels se serait tenue n’importe quelle gargote des environs, pour laquelle j’aurais personnellement opté. Or, première surprise, au moment de l’addition ni Bouba ni son ami Youssouf – qui nous a rejoints entretemps – ne font mine d’être disposés à payer un seul Franc CFA : ils continuent à bavarder en regardant ailleurs, l’air dégagé, comme des enfants au restaurant avec leurs parents. Avec ce qui ressemble à de la résignation, Maïka met les trois quarts de la somme, et me fait signe de payer le reste… Pourquoi pas. Être Européen au Mali est sans doute un statut auquel il faut se faire.

 

Nous nous rendons ensuite à un petit bar vide non loin de là, où nous nous trémoussons tous les quatre dans la musique bruyante, bières à la main, sous le regard méprisant d’une serveuse amorphe. Au moment de partir, sans doute parce que j’ai demandé bêtement le prix des consommations (nulle carte nulle part), étant habitué à ce qu’entre jeunes on divise les additions, je me retrouve soudain tout seul face au comptoir : les trois autres sont tout naturellement sortis. La note n’est même pas salée, mais j’ai l’impression qu’on m’a forcé la main, ce qui est très désagréable. Cependant je préfère croire encore à un malentendu, ou à quelque coutume locale. Après tout, on m’offre quand même un toit sous lequel dormir.