Visions of Shijiazhuang

China posté le 03.04.2014

Arrivée dans l’une des gares ferroviaires les plus effrayantes qu’il m’ait été donné de voir. Espèce d’énorme vague de béton surgissant de la brume toxique, façon tsunami radioactif, plusieurs dizaines de mètres de haut. Et pourtant, j’ai été en Russie.

Tout autour, de petits bonshommes au visage rouge et ridé, en casque jaune, s’agitent sur des chantiers de construction, le regard perdu.

« À part les usines de fabrication de ciment, de pesticides et autres produits chimiques, on a aussi des usines pharmaceutiques parmi les plus importantes du pays. Ce sont elles qui donnent à l’air d’ici cette saveur unique. C’est aussi grâce à elles que les gens ont naturellement d’excellentes défenses immunitaires. »

Dong Yaqian, chanteur adulé et membre de l’un des groupes de musique alternative les plus importants à avoir émergé sur la scène chinoise ces dernières années – “Omnipotent Youth Society” – est un garçon plutôt timide, aux yeux doux et visage d’enfant. Il n’a jamais été au lycée, consacre toutes ses journées à sa musique. Caresse avec tendresse l’étui renfermant sa Stratocaster nouvellement acquise à Pékin. Il a l’humour un peu désespéré des gens de Shijiazhuang.

« Je veux émigrer dès qu’on aura fini notre prochain album. Quitter la Chine, avec le reste du groupe. Aller n’importe où, pourvu qu’on nous accepte. L’Amérique, ça me dirait bien, même si je parle pas un mot d’anglais. Faut que je parte, j’ai une inflammation permanente de la gorge, c’est pour ça que je crache tout le temps. »

Cela dit, on n’a pas plus tôt posé les pieds dans le lobby de l’hôtel, où le reste de l’équippée et moi-même aurions dû rester – sauf que je dormirai finalement chez lui, ayant été rejeté dudit hôtel pour cause de régulation d’entreprise interdisant l’hébergement d’étrangers, chose courante – ni son comparse Ji Geng (parolier, bassiste) ni lui-même ne perdent une minute pour allumer la première clope d’une très longue série.

« Ma Stratocaster, c’est la dernière fabriquée par un grand artisan de chez Fender avant sa mort… Tiens regarde, voilà le certificat [“This document certifies that this Fender Musical Instrument, 1960 Stratocaster Relic R24665 is a product of the Fender Custom Shop in Corona, California. This instrument has been custom built by Fender’s finest craftsmen to bring you years of playing enjoyment.”] Pékin est l’entrepôt du monde je te dis, on y trouve absolument tout ! »

Au bord de l’avenue à quatre voies qui traverse la ville, pubs et slogans ordinaires : “健康生活”, “环境保护” (« Une vie pleine de santé », « Protection de l’environnement ») – dont on ne sait pas trop s’il s’agit des valeurs de la ville, ou des rêves chéris par les citoyens, rêves utopiques – une pancarte vante même, de façon presque insultante, les mérites d’un “呼吸式玻璃高楼” (« Grand bâtiment à verre respirant »), dont on devine vaguement la silhouette dans la brume jaûnatre au-delà.

« Et encore, aujourd’hui, l’air est plutôt pur ! » m’affirme-t-on un peu plus tard, comme on attend un nouveau taxi qui ne viendra jamais, dans une odeur suspecte d’égoûts et de brûlé. Shijiazhuang : ville où l’on peut respirer tout à loisir, en dix minutes de marche, autant de fragrances industrielles abjectes, considérées comme tout à fait normales par les habitants. L’équivalent chinois moderne d’une randonnée en montagne au printemps, quand les fleurs sont écloses.

Train du retour.

Nécessité d’écoute d’une musique relativement forte pour tenter de noyer les exclamations stridentes de la grosse femme laide et vulgaire vautrée dans un siège de la rangée précédente de notre compartiment première classe, dans ce train à grande vitesse, fleuron technologique du pays.

Sous le nuage empoisonné, lourd et gris, les champs mornes du Hebei sont de temps à autre ponctués d’une ou deux petites tombes blanches, parfois aux côtés d’un arbrisseau rachitique ; tombes égarées, qu’on dirait même perplexes.

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