高铁 • TGV

China posté le 18.01.2013

Première fois dans le train à grande vitesse Beijing-Shenzhen, ligne nouvellement ouverte.

Écrire car stimulation irrésistible du voyage, tout de suite à peine passé la porte de chez moi, bagages en main, une foule de détails surgit à l’esprit et s’impose et IMPOSE la consignation par écrit — mais aussi le coup de fouet kerouackien, Satori in Paris commencé ce matin dans la nouvelle ligne 6 du métro et aussitôt se sentir emporté dans ce tourbillon exaltant de bop, québécoiseries, alcoolisme, luxure et dépression nerveuse, impossible de ne pas être transporté par ce rythme urgent plus vite encore que par ces nouvelles voies de transport ferroviaire au sujet desquelles je suis tout prêt à m’extasier ce matin : ligne 6 sus-citée, donc, saisie à la station 呼家楼 puis délaissée à 白石桥西 pour la ligne 9, elle aussi ouverte il y a une paire de semaines à peine, et pas de doute, la nouveauté est dans l’air — au sens propre, car l’air du métro est saturé de cette vilaine odeur de peinture fraîche qui évoque le plastique brûlé ou le mauvais vernis et qui est sûrement mon plus ancien souvenir olfactif de la Chine continentale — cet ignoble restaurant d’apparence respectable où nous nous étions réfugiés, Raphaël Emily les deux Italiens et moi pendant notre première visite à Shanghai depuis Hong Kong, car affamés, et rien d’autre en vue (difficile à croire), restaurant ouvert et plein de dîneurs malgré qu’il fût en pleine rénovation et qu’à deux pas des tables on attaquât un mur au marteau-piqueur — et la ligne 9 de me porter au pied même de la gare Beijing West Station, à cinq petites minutes du quai.

Jusque-là, pour se rendre à la gare, le passager de transports en commun était condamné à prendre la vieille ligne 1 du métro jusqu’à la station 军事博物馆 (Military Museum) et de là, du fait peut-être d’un sens de l’héritage historique assez exagéré de la part des concepteurs, c’était une Longue Marche d’une demi-heure avec lourdes valises à la main le long de cette artère au trottoir en perpétuelle rénovation et encombré des stands des petits vendeurs à la sauvette — les poupées en plastique, les infâmes petits chiens-robots avec leurs mouvements saccadés et leurs yeux lumineux vert fluo et leurs jappements stridents, véritables chiens-zombies-robots en fait (et après, il faudrait qu’on ne s’inquiète pas pour le futur du pays quand les enfants d’aujourd’hui ont été habitués à des jouets pareils ?) mais aussi vente de fruits et de brochettes et de crânes d’antilopes tibétaines sur les couvertures à même le trottoir défoncé devant la paysanne non moins tibétaine à peau écarlate et ridée figée dans un éternel rictus où brillaient des dents en or — et par un matin comme celui-ci, -8°C au compteur, tout ce beau monde serait emmitouflé dans de lourdes vestes militaires rembourrées issues des vieux stocks de l’Armée populaire de libération et se tordrait sans doute un peu les mains dans le froid — et au bout de cette artère on arrivait à la porte du Chaos, le vrai, autrement dit cette petite esplanade où se serraient des gargotes fast-food à la chaîne, plus médiocres les unes que les autres, et de là il fallait traverser la Rue de l’Étang des fleurs de lotus, nom champêtre s’il en est mais six voies grises et bétonnées aux allures de périphérique, rue qui n’existe que bouchonnée, qui tire peut-être même sa raison d’être du bouchon (j’imagine qu’un panneau doit exister quelque part à proximité :

Zone de Bouchon Modèle.
Veuillez nous aider à faire en sorte que cette rue conserve son statut de zone exemplaire de bouchon à Pékin.

)— traverser la rue, donc, par le biais d’une minuscule passerelle, minuscule du moins en proportion des terrifiantes foules de passagers qui toujours l’empruntaient dans une vaste bousculade, traînant pour au moins 4/5e d’entre eux ces énormes sacs en plastique renforcé, dont certains pourraient sans doute contenir deux hommes adultes, bref, tout ce monde poussant soufflant tirant bousculant, le visage rougi par l’effort et par le soleil de la campagne natale vers laquelle ils s’en retournaient avec leurs 200kg par personne de marchandises, et impossible de se frayer un passage le long de cette passerelle, on ne pouvait que se laisser porter par cette foule lourde, lente et compacte, ce qui m’a déjà valu de manquer mon train, et enfin au bout de la passerelle, le mastodonte — l’édifice gargantuesque de la 北京西站, Beijing West Station, et son grand trou carré au milieu (« pour laisser passer les dragons volants » ainsi qu’on m’a justifié cette bizarrerie architecturale très présente dans nombre d’autres gratte-ciels (bâtiments autrement plus élégants) à Hong-Kong ?), et surtout, ce qui constitue pour moi l’élément distinctif véritable de cette gare pourtant si remarquable par son mélange de désordre effarant et de lourdeur communiste incommode — j’ai nommé ses deux petites tourelles surmontées d’horloges conçues par dieu sait quel sculpteur absurde se réclamant de l’avant-garde, et dont on voit les rouages dorés et tous les engrenages à l’air libre — bref, des horloges dans le plus pur style steampunk (Sherlock Holmes combattant des Martiens à grands renforts de pistolets laser fonctionnant à la vapeur ? C’est ici)… Et enfin, on y était, bien qu’il fallût encore se frayer un passage au sein de l’immensité humaine vers le point de contrôle des billets, puis le tapis roulant qui scane les bagages.

Et voilà que maintenant la ligne 9 nous transporte directement au pied de l’édifice : plus de sortie à la station Military Museum, plus de Longue Marche le long de l’artère aux trottoirs défoncés, plus de passerelle surpeuplée au-dessus de la si bouchonnée Rue de l’Étang des fleurs de lotus. Et c’est là qu’on le voit, dans toute sa splendeur et sa majesté majusculante — le Progrès.

Certes, on me demandra : Mais que vont devenir les marchandes de crânes d’antilopes tibétaines ? Et certes, on me comparera à un terroriste présumé de Guantánamo, d’abord torturé par la diffusion permanente jour et nuit et à plein volume, dans sa cellule, de la même chanson de Britney Spears, qui découvre — éperdu de joie — qu’on lui passe maintenant en boucle une chanson d’Elton John. Mais fi de tout cela ! Fi, vous dis-je. Même si ce “progrès” technologique me permet à présent de parcourir les 20 kilomètres séparant mon logis de la gare, et donc de traverser cette ville de 20 millions d’habitants en une heure au lieu d’une heure et quarante-cinq minutes précédemment, même si ce “progrès” technologique va main dans la main avec l’épais brouillard de poison dont je humais l’odeur ce matin jusque dans mon salon et que nous transperçons comme j’écris ces lignes dans le bullet-train, un soleil écarlate se balançant mollement dans l’étendue brune-grisâtre derrière la vitre, eh bien qu’on me laisse quand même me réjouir de cette amélioration superficielle de mon sort ! Rejoindre par la terre le domicile de mon ami Chris qui va m’héberger ce soir à Tung Chung, quartier périphérique de Hong Kong, depuis mon appartement, prenait auparavant vingt-sept heures et demi environ ; depuis l’apparition des nouvelles lignes de métro 6 et 9, et de la ligne à grande vitesse “和谐号” («Harmonie») Beijing-Shenzhen, ouverte elle aussi il y a quelques semaines, le temps de trajet complet porte-à-porte sur ces 2500 kilomètres est maintenant de 14 heures environ. Le prix dudit trajet, lui, a bien sûr doublé. À quand un TGV Paris-Moscou ou Paris-Istanbul (distances équivalentes) ?

Heureusement, le Progrès demeure confiné à un plan strictement technologique :

1/ Dans le hall de la gare, le slogan politique affiché sur l’écran géant (juste avant la pub pour une luxueuse marque de baijiu — alcool de riz du nord de la Chine), et qui participe sans doute de l’effort dérisoire visant à projeter une image progressiste du nouveau gouvernement en place depuis novembre dernier (efforts qu’un récent scandale de presse muselée suffit à ruiner), ce slogan n’a pas peur d’affirmer : “坚持解放思想” (“Continuons de libérer la pensée”). C’est si orwellien que c’est à peine croyable, mais pourtant si, c’est bien ce slogan officiel qui s’affiche en lettres d’un mètre de hauteur juste avant la pub pour le baijiu de luxe.

2/ Dans le train, les écrans de télé installés à intervalles régulier dans le wagon continuent de faire le panégyrique interminable du nobélisé Mo Yan, longues séquences de félicitations dans les ors royaux suédois.

3/ Dans le train toujours, un passager qui ne voit pas d’inconvénient majeur à améliorer son environnement immédiat (et donc celui de tous ses voisins, dans un rayon de 10 mètres) par la diffusion en boucle et à plein volume sur son téléphone portable de deux tubes de R’n’B américains bien gras ; personne ne proteste (je soupçonne que les techniques de torture à Guantánamo seraient beaucoup moins effectives sur le citoyen chinois lambda).

4/ Et aux quatre coins du wagon, ce wagon 2ème classe de train à grande vitesse aux sièges amples et confortables — entassés, les immortels sacs en plastique renforcé dans lesquels on pourrait enfermer deux hommes adultes.

Ouf ! Certaines choses ne changent pas.

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